J’ai 17 ans. Je sais gratter trois accords à la guitare. J’anime une émission hebdomadaire sur les ondes de CFRH, ma radio communautaire. Dans la discothèque de la radio, je tombe par pur hasard sur l’album Symbiose. Dès ma première écoute, c’est le coup de foudre. Deux guitaristes virtuoses. Des voix parfaitement agencées en harmonie. Je fais tourner au moins une chanson de l’album toutes les semaines. Je n’ai aucune idée qui est John McGale.
J’ai 23 ans. Il est 2h du matin. Je suis assis sur un banc de parc derrière une boîte à chanson. Je cherche un nouveau guitariste pour mon band. Je suis censé interviewer un candidat. Toyo-McGale viennent de terminer un show du tonnerre. Deux gars sur scène avec leurs guitares dans un bar où pas mal tout le monde est paqueté. La foule ne s’est jamais assise, tellement c’était une injection d’énergie pure et dure. J’ai la chienne. McGale me pose quelques questions. Me dit qu’il aime ma voix et mes mélodies. Dès notre première rencontre, il me fait rire. Il est étonnement tranquille en tête à tête.
Quelques semaines plus tard, on arrive à Sudbury pour jouer à La Nuit sur l’Étang. Je l’accueille à l’entrée des artistes. Je m’étonne devant la quantité de guitares qu’on sort de sa fourgonnette. C’est comme des clowns qui sortent d’une voiture dans un show de cirque. Il m’en passe une. « Try this one. I think it’ll be a good fit. » Il trouve que ma guitare n’est pas à la hauteur. Je suis d’avis que c’est plutôt mon jeu qui pose problème. Il me prête une de ses guitares, à chaque spectacle, pendant des années, le temps que je puisse économiser pour m’en acheter une qui a de l’allure… qu’il m’aide d’ailleurs à magasiner. Il y a aussi un lapin dans la fourgonnette. Son animal de compagnie… notre mascotte dans la loge. Généreux et tendre de cœur, le rocker.
Nous montons un spectacle en duo. Ses chansons, des chansons d’Offenbach, quelques-unes de mes chansons. On répète dans le salon chez sa blonde (l’appart à John est trop petit et trop bondé de guitares et de gear pour qu’on puisse tous les deux s’asseoir avec nos guitares). Jamais je n’ai travaillé aussi fort pour me préparer pour un show de ma vie. Quand on gratte d’un instrument et qu’on doit se tenir aux côtés d’un des véritables maîtres à l’échelle planétaire dudit instrument, sous les phares, pendant deux heures, ça prend un certain effort pour ne pas avoir d’l’air (trop) fou. Je stresse, je sue, pis je travaille. Il me pousse, me coach, m’encourage… fait preuve de beaucoup de patience… et de rigueur. Exigeant à mon égard et envers lui-même. Il joue comme si sa guitare était un instrument de percussion. Il est un métronome. Inébranlable. Il me donne confiance.
Nous roulons vers un show à Rimouski. Des heures de route à jaser de tout, de rien, de nos familles, de nos blondes, du métier de musicien, à écouter de la musique. Quelque part tout près du nombril de nulle part (village serait trop généreux), on passe devant un magasin de musique. Il fait demi-tour. Stationne. Entrer dans un magasin de musique québécois avec McGale, c’est inoubliable. Le temps s’arrête. Il entre dans la place (où il n’a jamais posé les pieds auparavant) comme Norm dans le bar de Cheers. Les gars derrière le comptoir restent figés. « C’est-tu lui? » « C’est lui. » C’est tout juste si leurs mentons ne touchent pas le sol. Il s’installe dans un coin. Il brette un peu avec une guitare. Ne dit pas grand-chose. Le proprio arrive. « Cherchez-vous de quoi en particulier? » « Allo! J’sais pas, man! Qu’est-ce que vous avez?! » « Attendez, j’ai peut-être quelque chose. » Le proprio disparaît dans le rangement. Il revient quelques minutes plus tard avec un objet rouge flash. John : « Oh Ho! ». Chose rare : Il n’a pas acheté cette journée-là. La van était déjà pleine à craquer.
Il héberge chez moi après une répé, la veille d’un spectacle à Ottawa. Je l’invite à souper. Je lui demande de trancher un quelconque légume… devant son air mystifié, je lui demande : « John… do you know how to cook? »… “Bien oui, Eric, of course. Where’s the cereal?” Nous sortons au resto. Il propose qu’on loue un film en soirée. Je l’entends encore rire à se fendre devant Legally Blonde.
On passait de longues périodes sans se voir, sans se parler, et les retrouvailles étaient toujours aussi joyeuses. Je lui demandais combien de guitares il avait dans sa collection (qui ne cessait de prendre de l’expansion au fil des ans) et on se donnait des nouvelles de nos mères. Je garde le souvenir du gros hug d’ours quand il a enfin rencontré ma Maman, d’ailleurs. Deux branches de ma famille (de sang, de scène) qui convergeaient.
Il savait jouer de tout. Un virtuose hors pair, un créateur prolifique. Certes. Sa musique continuera de nous réconforter. Son talent véritable, il me semble, c’était sa capacité de toucher les gens partout sur son passage. Spectacles de salon, méga festivals ou des milliers de fans hurlent ses refrains, gros rock crotté, folk intime, jazz poussé… Tous les prétextes étaient bons pour faire sourire, rire, vibrer… aller droit au cœur. Il donnait de l’énergie à ceux qui en cherchaient… moi-même inclus. Un talent rare.
Qui de mieux qu’un rocker au cœur tendre pour accompagner un jeune folkie un peu trop sérieux pour son propre bien? Avec lui s’envolent 90% de mes meilleures histoires de tournée!
C’était un grand privilège d’avoir pu cheminer un peu à ses côtés.
Sincères condoléances à sa mère, toute sa famille, ses proches, la gagne d’Offenbach et les autres membres de la famille musicale. Merci John. Adieu. Bon voyage.