J’écoutais beaucoup Blue Rodeo à l’époque. De fait, leur album Five Days in July demeure un de mes albums préférés. Nous cherchions à incarner le son Blue Rodeo avec cette chanson.

J’avais seize ans. J’imaginais une vie de tournées, une vie de déchirement qui m’obligerait de quitter le foyer, quitter celle que j’aime, pour rouler ma bosse d’artiste. J’imaginais le visage de celle que j’aime qui me regarde prendre la route sous la pluie. Je vous l’ai déjà dit : j’étais un ado mélancolique. J’aurais peut-être gagné à sortir dehors jouer au baseball plutôt que d’écrire des chansons aussi tristes!

Ceci dit, c’était ma chanson préférée du premier disque. Je garde de vifs souvenirs de mon ami John Fiddes à l’harmonica. Ce musicien d’origine écossaise, devenu un de mes grands complices musicaux et sages conseillers sur les routes de la vie. C’est lui qui m’a fait découvrir tellement d’artistes et de penseurs qui m’influencent encore aujourd’hui. Sans lui, et sans l’enregistrement de ce premier album, je ne serais pas devenu le bon folkie que je suis !

 

D’entrée de jeu : Je me dis « T’étais un p’tit cul quand t’as écrit ça… they can’t all be gold ! » Mais peu importe ce que je me dis, ce n’est pas ma chanson préférée. C’est peut-être pour ça que je ne l’ai pas fait en spectacle depuis vingt ans !

J’en profite aussi pour saluer Guy, mon cher ex-colloque universitaire, qui évoquait souvent cette chanson pour mieux me rappeler l’importance de l’humilité 😉

Ceci étant dit… l’histoire : je voulais m’inscrire à Ontario Pop. J’avais seize ans et j’avais commencé à faire des spectacles. Le consensus était qu’il me fallait plus de matériel up-beat. J’avais trop de ballades. C’est vrai. (Nombreux sont ceux qui diraient que cette critique est toute aussi pertinente aujourd’hui. À eux, je réponds : ppppphhhhhhhhtttttt! Je tire la langue dans votre direction générale!)

J’écoutais le nouvel album de Michel Paiement, un musicien de Lafontaine et un des des rares artistes franco-ontariens que je connaissais à l’époque. Une de ses chansons portait sur le rêve d’être musicien. Je décide d’aborder ce sujet à ma façon.

Ce que je garde comme heureux souvenirs, c’est le jeu de Alvin Light à la guitare. C’est un grand musicien de ma région. Un de ces Lalumières dont les aïeux avaient changé le nom afin de pouvoir trouver un boulot chez les patrons anglais. L’entendre jouer en studio était un véritable plaisir. Je garde aussi d’excellents souvenirs de cette chanson lorsque je me suis rendu à la finale d’Ontario Pop. Mon premier show au Centre national des arts. Ma première expérience sur une grande scène, avec un décor, des gros éclairages, un band du tonnerre et une salle comble. J’étais resté seul sur scène après les répétitions un soir, afin de me pratiquer pour la finale, de m’habituer à l’immensité et à la présence des caméras. La marraine du show, nulle autre que Laurence Jalbert, m’avait spotté en train de me pratiquer sur scène et m’avais encouragé à continuer. Je sentais que mon p’tit rêve se réalisait!

Ma tante préférée s’appelait Thelma : « T ». Elle habitait à Toronto, et on se voyait quelques fois l’an. Elle me gâtait, évidemment ! Ce dont je me souviens le plus, c’est à quel point elle aimait rire. Quand elle était de passage chez-nous, la maison était remplie de bonheur.

À une époque de mon enfance, j’avais pris l’habitude de feindre un malaise à l’école, afin qu’on m’excuse des classes. (J’en profite pour m’excuser, 30 ans plus tard, auprès de Mlle Belcourt, Mme Gagnée, Mme Mellish, Monsieur Robitaille, Mme Maheu et tout autre adulte qui a témoigné de mes piètres efforts théâtreux). Le protocole à l’époque tenait à placer l’élève malade dans l’antichambre de la bibliothèque de l’école et de le laisser se reposer. De temps à autre, la réception passait jeter un coup d’œil. Sinon, on me laissait tranquille, ce qui soulageait mes tendances un peu antisociales. Bien que la bibliothèque de ma petite école était plutôt modeste, elle comptait beaucoup plus de livres que mon foyer familial. Aux yeux d’un enfant qui aimait bouquiner, une journée passée au lit à feuilleter les pages d’un nouveau livre constituait un séjour au septième ciel. Je passais des heures à lire silencieusement. Quand un adulte approchait de la porte d’entrée, je cachais mon livre de prédilection et prétendais dormir.

Un jour, j’entreprenais ma démarche habituelle en feignant un mal de tête. À peine installé dans la bibliothèque, on m’informa que mon père passerait bientôt me cueillir. En premier, ce que j’ai remarqué de curieux, c’est que mon père était venu me chercher en chauffant la voiture de ma mère, alors qu’elle devait déjà être à l’ouvrage. Mon incompréhension devait être encore plus grande quand on pris la route sans que mon père me dise un seul mot. Ce n’était pas comme lui. En entrant à la maison, ma mère nous attendait. C’était bizarre qu’elle soit chez-nous. C’est elle qui m’expliqua que ma tante T était morte subitement. C’était ma première expérience de la mort, et elle me marquerait à jamais.

Quelques années plus tard, pour des raisons qui m’échappent encore, j’ai commencé à écrire des chansons alors que nous visitions ma sœur au chalet, au nord du Lac Huron. J’ai commencé à fredonner dans le char, en revenant du chalet. Pendant le trajet, j’ai complété mes trois premières chansons, dont Je me souviens de toi. C’est la première chanson que j’ai enregistrée.

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Ça fait drôle d’entreprendre l’écriture de cette série de textes par cette chanson. Bien qu’elle était la première pièce de mon premier album, elle était la dernière chanson écrite pour ce disque et une des dernières que nous avons enregistrée. De fait, c’était loin d’être ma première chanson ou même mon premier enregistrement…

À l’époque, je vivais une vague importante de nostalgie. Je venais d’entamer mes études à l’Université d’Ottawa. J’étais loin de ma famille et de mon village pour la première fois. Le jour de mon départ du foyer familial, on devait se lever très tôt afin de mieux faire la longue route entre Perkinsfield et Ottawa, qui mènerait vers ma nouvelle vie. Ce matin là, avant le départ, j’ai trouvé quelques instants pour me recueillir et pour penser à tout ce que je laisserais bientôt derrière moi. La brume se levait sur les champs. Deux décennies plus tard, je chérie encore le souvenir de ce moment de solitude et de réflexion. C’était la première germe de Par chez nous.

Je voulais que cette chanson rende hommage à la magie de la place où j’ai grandi. Aux lieux qui étaient sacrés à mes yeux : le village, la baie, etc. C’est une chanson terriblement naïve… je le reconnait ouvertement! Certaines des images me semblent encore belles, et réussissent à rendre la beauté de l’eau, notamment. Je connaissais alors les rythmes de cette place, et c’est une connexion qui m’habite encore. Je devine que plusieurs gens partagent aussi cette compréhension et cette affection profonde pour leur patelin.

Je l’avoue, j’ai un peu honte du refrain. La maladresse de ma première chanson identitaire m’étonne. Mais je demeure fier de ma tentative d’agencement de la poésie et de la musique. C’est une tentative de poème musical plutôt qu’une chanson au sens propre, il me semble. Fier aussi d’avoir documenté mon attachement à cet endroit qui me tient encore à cœur aujourd’hui, bien qu’il a beaucoup changé – et moi aussi – au fil des ans.

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J’ai commencé à écrire des chansons quand j’avais environ 14 ans. Depuis, plusieurs centaines ont vu le jour et près d’une quarantaine ont été endisqué. Chacune est unique, et témoigne d’un moment, d’un endroit, d’une expérience, d’une personne qui me tient à cœur. J’arrive difficilement à façonner des chansons à partir d’une idée ou d’une thématique abstraite, sans l’ancrer d’une façon ou d’une autre, dans mon vécu. En spectacle, j’ai souvent partagé des bouts et des bribes d’anecdotes en appui aux chansons et j’ai parfois fait un petit clin d’œil quant aux origines de la chanson, sans pour autant nommer mes muses…

Cette série de billets partagera l’histoire derrière chacune des chansons que j’ai enregistré au fil des ans. Vous trouverez peut-être ça touchant, divertissant, quétaine, de trop… qui sait. À mes yeux, c’est une façon de partager ma démarche et de faire un retour sur le chemin parcouru. C’est aussi une façon de documenter l’origine et l’évolution de ces chansons qui me tiennent tellement à cœur. J’espère que ça viendra complémenter notre connexion autour d’une chanson que vous aurez entendue.