Je les entends chanter. J’ai quelques minutes de retard, et au moment où je sors du métro, le match vient de commencer. Soixante-dix mille voix portent sur l’air d’une nuit d’automne à Barcelone. Je suis à 1 km du stade, mais déjà, leurs voix se fondent en une et répètent les mêmes refrains. C’est étonnement bruyant. C’est tout ce que j’entends dans ce quartier de la ville, vidé par les foules qui se sont rendu au Camp Nou, la résidence de Barça FC.
Camp Nou est immense. C’est certainement le plus grand édifice dans lequel j’ai posé les pieds de toute ma vie. C’est aussi la plus grande foule dont j’ai fait partie. Je me souviens d’un soir au Skydome, où mes frères et moi avions assisté à un match éliminatoire entre les Blue Jays et Oakland. Nous étions environ cinquante milles dans le stade. Ce soir, vingt mille voix de plus se joignent au chant du chœur.
Par surcroit d’enthousiasme et ayant le gout de pleinement savourer chaque moment de grâce que nous offre la vie, je me suis payé la traite. Je suis dans la deuxième rangé, au centre. Je sens l’haleine de Neymar. Mon héros, Lionel Messi, n’est pas de la partie ce soir. Il s’est blessé au genou il y a quelques jours, et ne portera pas son chandail #10 pendant les deux prochains mois. J’ai presque braillé quand ont m’a appris sa blessure, tellement je regrette de ne pas avoir l’occasion de le voir à l’œuvre.
N’ayant pas soupé, je profite de cette sortie sportive pour découvrir la culture culinaire qui fait partie du rite. À ma grande surprise, les Catalans mangent des hot dogs, tout comme nous! Mais entendons-nous… ce n’est pas le stimé des Canadiens ni le hot italian (ma posologie habituelle) des Jays. C’est un frankfurter de 12 pouces, froid, sur une baguette croustillante. Avec respect, je crois que mes amis de l’Europe n’ont pas encore tout à fait compris la beauté du junk food.
C’est une partie chaudement disputée, et péniblement mal officialisée. Je n’ai pas vu autant de cartes jaunes pour des affronts imaginaires depuis que les Bleus se sont affrontés à gli Azurri en finale de la coupe du monde… et ça, c’était plus de l’ordre d’un ballet mal chorégraphié, qu’un match de football… avec une fin digne d’une tragédie de Shakespeare! Et tu Zidane?!
Bayer arrive à caser Neymar, la principale arme offensive de Barça en l’absence de Messi. De fait, à mon arrivée, Bayer mène déjà 1 à 0. Mais la foule de Barcelone est fidèle à son équipe et ne cesse de les encourager tout en sifflant et huant les adversaires. Je suis frappé par l’intelligence de la foule. Ils remarquent et apprécient la subtilité d’une passe bien placée, d’un adversaire déjoué afin d’empêcher le désastre. Ils connaissent et comprennent le jeu. Quand on retire Iniesta (un de mes préférés, et celui qui a le mieux joué pour Barça pendant les 30 premières minutes du match) vers la 60e minute, la foule l’applaudit avec verve.
Vers la 75e minute, la foule devient un joueur supplémentaire. Elle monte le niveau de décibels dans le stade, et l’adrénaline des joueurs tout autant. Barça augmente la pression et accélère le jeu. À l’instar d’Iniesta, je remarque que Dani Alves dirige le trafic sur le champ. Ce type a un regard enragé. C’est clair qu’il n’a pas du tout l’intention de céder et de subir la défaite. Il est omniprésent pendant les 15 dernières minutes du match et ses interventions mettent définitivement fin à deux attaques de Bayer.
À la 80e minute, Roberto compte. La foule est folle. C’est assourdissant dans le stade. Je ne connais pas l’hymne qu’ils entonnent, mais tout le monde chante en chœur… sans cesse. Les joueurs de Bayer n’arrivent plus à s’entendre sur le terrain de jeu. À peine deux minutes plus tard, c’est au tour de Suarez. C’est le délire! La foule est en extase. Je sais qu’il y a des partisans de Bayer parmi nous, je vois leur drapeau, mais je ne les entends pas. Les voix catalanes les enterrent. Victoire de Barça, 2 :1.