Ça y est. C’est le temps. Depuis trois jours, j’ai à peine quitté mon lit, sinon pour manger de temps en temps et pour passer à la farmacia. Toute l’équipe de l’hôtel est au courant. À l’entrée, à la sortie, au petit déjeuner, même la femme de ménage me demande comment va ma rodilla!
J’ai encore mal au genou gauche, et je marche tout croche, mais je n’en peut plus de rester embarré dans ma chambre. Je me dis que faudra prendre ça mollo. Je me rendrai au prochain village, à 6 km. Je sais que j’avance au ralentit, et chaque pas me fait mal, mais le Camino m’attends et je ne suis pas près à y renoncer.
Pendant ma convalescence, je refais ma valise. Je me débarrasse de tout ce qui ne m’as pas encore été utile. Bye bye chemise anti-bébittes! Peace out poncho de pluie! (Ça m’épargne quelques onces. Je me procure aussi un support pour genou. Ça me rassure… Pour la première fois depuis trois jours, je n’ai pas l’impression que je vais m’écraser dès que je me lève debout.
Je déjeune, prend un café, puis je prend la route. C’est le jour du marché à Astorga. Je contourne les camions et les kiosques. Chaque pas est pénible. J’ai un sourire aux lèvres, grand comme le Canada.
Au bout de 20 minutes, je suis sorti de la ville. Je suis reconnaissant d’avoir pu me rendre si loin (2 km) après avoir eu autant de difficulté à me rendre à l’ascenseur depuis 3 jours.
En 75 minutes j’arrive à Murias de Rechivaldo. 6 km de fait. Je m’assoie, évalue la douleur, et décide de poursuivre encore un peu. En sortant du village, je retrouve Clare, l’australienne avec qui j’avais partagé un chalet à Castrojeriz. Quel plaisir de la retrouver. Au moment où nous nous sommes quitté, son copain de voyage avait une blessure grave à la cheville. Elle m’explique qu’il souffre encore, à piqué une méchante déprime, et chemine désormais par autobus. Clare, quand à elle, souffre aussi. Elle est malade et déshydraté depuis deux jours. Elle s’étonne de me voir marcher. « You’re leg’s really fucked up, isn’t it? You’re limping terribly! » 2 minutes après ce constat tout à fait juste, alors qu’elle prend une gorgée d’eau, elle me poignade de sa canne à marcher. Juste en-dessous du genou gauche. Elle s’excuse abondamment, et nous marchons ensemble, lentement, en riant.
Des escargots nous dépassent. Des limaces nous dépassent. Des octagénaires Allemands nous dépassent sans même nous remarquer. Nous rions. Nous constatons qu’en avançant au ralenti, nous apprécions davantage la beauté du paysage. Nous arrivons à Santa Catalina et je constate que mon rythme habituel n’est que peu affecté par ma blessure. Je me demande à quel point je marche lentement d’habitude!
Après 40 minutes de procrastination, Clare poursuit sa marche vers Rabanal. Elle prévoit arriver en fin d’après-midi. Je me trouve un lit, fais ma lessive, lève ma jambe, et passe l’après-midi à écouter le nouvel album (sublime!!!!!!) de Willows (aka: Geneviève Toupin) tout en regardant passer les nuages par la fenêtre de ma chambre.
Quelques mots sur la douleur: La quasi totalité des pèlerins souffrent pendant au moins une partie sinon tout le Camino. Je connais une seule personne qui n’a pas eu d’ampoules. Les tendinites et les entorses sont fréquentes. L’enflure est perpétuelle. Plusieurs se réveillent après quelques jours avec un ou plusieurs orteils bleu/noir. D’autres, et c’était très fréquent pendant la première semaine, perdent les ongles des orteils à force de monter et de descendre dans les montagnes. D’autres porteront de nouvelles cicatrices à leur retour au bercail, résultat d’une chute sur un sentier inégale ou une pente un peu trop raide.
Les os brisé, notamment les chevilles et les os du pieds sont aussi assez habituelles. Les pèlerins craignent ces blessures, qui peuvent mettre fin à la marche.
Les remèdes et baumes sont innombrables, tout comme les pharmacies. Les pilules sont universelles. L’ibuprofen est connue comme « pilgrim’s candy », et les pèlerins en avalent en quantités industrielles.
Somme toute, je distingue entre deux sortes de douleur: la vieille douleur, et la nouvelle. La vieille douleur, les ampoules de la semaines dernière, nous rappelle que nous sommes vivants. La nouvelle douleur, inconnue, est une source importante d’anxiété. Est-ce grave? Est-ce que c’est permanent? Ce sont des questions qu’on se pose quotidiennement. Plus souvent, la douleur frêne notre progrès, nous frustre, viens saper l’énergie. Certains sont même craintifs quand une vieille douleur s’atténue soudainement. Mais elle est un compagnon de route fidèle, et chacun de nous s’y habitue, et gère la douleur à sa façon. La douleur est une partie intégrale du Camino.