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Premier extrait de l’album Le temps d’être heureux â paraitre en novembre.

Montréal, le 21 octobre 2014 | L’auteur, compositeur & interprète Eric Dubeau présente aujourd’hui Élisa danse, premier extrait de son troisième album à paraître à la fin novembre.

Laissons Éric nous parler d’ÉlisaEn Croatie, la ville de Split est construite autour du palais d’un empereur Romain. Le château est si grand que la majeure partie de la ville se trouve à l’intérieur de ses murs. L’empereur qui a fait bâtir le château est le seul souverain de toute l’histoire de Rome à avoir tiré sa révérence et pris sa retraite de son vivant. Il a partagé son titre et son pouvoir entre trois successeurs, puis il est parti finir sa vie en Dalmatie, sur le bord de L’Adriatique. Je me suis demandé ce qui aurait pu avoir provoqué ce geste. Quand j’ai rencontré Élisa, une Croate des îles belle à couper le souffle, je me suis dit que c’était sûrement l’amour qui avait motivé cette décision. Puis, j’ai imaginé leur rencontre. J’ai tenté d’imaginer cette histoire d’amour comme une légende locale, dont seuls les gens de la place seraient au courant…

Auteur, compositeur & interprète originaire de Perkinsfield, sur les rives de la Baie Georgienne, Eric Dubeau a une longue feuille de route. Sa carrière professionnelle débute lors de la finale d’Ontario Pop en 1993. Il est alors le plus jeune lauréat de l’histoire du concours. Il est finaliste, à deux reprises, pour les prix YTV Youth Achievement. En 1997, il lance son premier album Par chez nous. Sa chanson Les lumières de la ville est primée en tant que finaliste du concours Songs from the heart. Il s’est présenté en spectacle à plus de 200 reprises, dont des prestations mémorables lors de La Nuit sur l’étang à Sudbury, Francophonie en couleurs, les 4e Jeux de la francophonie le Festival franco-ontarien et Coup de coeur francophone. Eric a écrit pour d’autres artistes, notamment pour le groupe Swing, et a composé les trames sonores pour deux films : Pride War et What you eat.

En mars 2001, Eric lance son deuxième album, Coeur et âme. Le succès de cet album et de cette tournée lui ont mérité quatrenominations aux Prix Trille Or en 2003, dont pour les prestigieux prix auteur-compositeur-interprète, interprète par excellence et chanson de l’année. Il a animé des ateliers de création lors des forums de la FESFO, a été coordonnateur du Volet Musique aux 7e, 8e et 9e Jeux franco-ontariens et a formé la délégation chanson/musique franco-ontarienne aux Jeux de la francophonie canadienne. Au fil des ans, il a réalisé des projets de création avec plus de 5000 élèves.

Venez découvrir son univers lors de lancement-spectacle dans les prochaines semaines.

22 novembre | Sudbury, Salle de spectacle du Collège Boréal, 20 h
24 novembre | Ottawa, Galerie SAW, 5 à 7
25 novembre | Montréal, Salle Claude-Léveillée de la PDA, 20 h
27 novembre | Toronto, Galerie de l’Alliance Française, 5 à 7

À Arzua, je conviens d’une entente avec mon corps. S’il me porte jusqu’à Santiago, je lui donnerai le temps qu’il faut pour s’en remettre. On prendra l’autobus pour Finistère. Je serai raisonnable. J’espère que l’entente tiendra…

La marche d’Arzua à O Pedrouzo est douloureuse. Une 5 e journée consécutive de pluie torrentielle. Il y a de la boue, et d’autres substances organiques, partout sur le sentier. Je marche souvent sous des eucalyptus, et la boue est moins pénible que la pierre pour mes pieds… Mais c’est tout de même difficile comme parcours. Puis, heureusement que j’ai trois paires de bas secs. Je change de bas aux deux heures, et malgré ça, je sens des ampoules qui commencent à former. Puis, j’ai une nouvelle douleur dans mon avant jambe droite. Je crains qu’à force de compenser depuis plus d’une semaine pour mon genou gauche, qui ne vas toujours pas bien, de nouvelles blessures ont développées.

La pension où j’héberge à O Pédrouzo est magnifique… Propre… Reposante. La propriétaire me recommande un excellent resto pour le souper, où je prend un des meilleurs repas de tout mon Camino. Les pèlerins chuchotent au souper. Il semble que le Botafumeiro, ce grand encensoir mythique de La cathédrale de Santiago, ne sert plus souvent lors de la messe… À moins que quelqu’un n’accepte de commanditer son usage par un don de 300 euros. Toutefois, il serait prévu de l’utiliser lors de la messe de midi demain. Plusieurs révisent leurs plans pour arriver à temps. Pas moi. Je me croiserai les doigts pour qu’il serve aussi à la messe de 7h30.

Je dors à moitié. J’ai hâte de marcher, hâte de me rendre. Puis, je suis fébrile devant l’idée de compléter ce Camino.

Je quitte avant la levée du jour. Par un moment de folie, je tourne une vidéo promo pour la Galicie… Province qui m’a tant enchantée… 😉

Depuis Sarria, les pèlerins sont de plus en plus nombreux sur le sentier. Je marche parmi une foule de centaines de pèlerins. Tout le monde jase. Tous sont heureux d’être presque rendu. Nous marchons sous une pluie légère. Puis, on entrevoit le soleil! Quel plaisir!

Je traverse une série de petits villages… Aucun d’entre eux n’inspire grand chose. Puis, nous entendons le bruit assourdissant d’avions qui décollent. Nous marchons le périmètre de l’aéroport de Santiago. Dorénavant, le sentier passe par les rues d’asphalte et de béton des banlieues de la ville. Puis, quelle surprise, nous montons! Nous approchons de Monte de Gozo (le mont de la joie… On dit qu’il se nomme ainsi puisque c’est à partir de cet endroit que les pèlerins peuvent entrevoir les tours de la cathédrale pour la première fois. J’ai une autre théorie: on l’a nommé ainsi car c’est la dernière maudite côte qu’il faudra grimper avant d’arriver à notre destination!) Au sommet de la montée, il y a un monument à la visite du pape Jean-Paul II. Puis, un immense dortoir de 400 lits… Le tout dernier point d’arrêt pour les pèlerins avant l’entrée dans la ville.

Le monument me rappelle la visite du pape à Midland en 1984. Ce jour là, aussi, nous nous étions réveillé très tôt et avions marché longuement avant d’arriver sur le site, à la cathédrale des Saints Martyrs Canadiens. Nous étions plus de 50 000 ce matin là.

Je profite d’un temps d’arrêt pour jaser avec d’autres pèlerins. Je ferai les 5 derniers km en compagnie de Carmèle, du Québec, avec qui j’avais soupé et beaucoup ricané, à Villafranca. Elle est blessé, moi aussi. On s’encourage et on avance lentement.

galicie_01L’entrée en ville est longue. De fait, il faudra traverser la ville avant d’arriver à la cathédrale. En entrant dans la vieille ville, en attendant que change un feu avant de traverser la rue, nous retrouvons Hannah et sa mère Èva. J’arriverai à la cathédrale en compagnie d’amis rencontrés dès mon premier jour de marche. L’hasard fait bien les choses.

C’est de la musique qui nous guide jusqu’à la cathédrale. J’entends de la cornemuse. Carmèle anticipe des écossais en kilts… Mais c’est de la musique traditionnelle de la Galicie. L’arrivée devant la cathédrale est émouvante pour tous. Pour moi, c’est la culmination d’un rêve vieux de plus de 18 mois… L’aboutissement d’un projet qui aura provoqué des changements importants à ma vie. La fin d’une épreuve physique comme j’en ai jamais connu auparavant.

À peine sortie de mon hôtel, à la recherche de quoi me mettre sous la dent, je retrouve Jane. Elle est folle de joie. C’est elle qui me guidera jusqu’à l’office des pèlerins, où je cueillerai ma Compostella. Elle m’explique aussi que l’on peut obtenir un deuxième certificat, dans une des églises de la ville, pour commémorer le 800e anniversaire du pèlerinage de St François D’Assise à Santiago.

galicie_05Je passerai trois jours à Santiago. Des retrouvailles avec ma famille du Camino, du temps en touriste, la messe et un souper de l’Action de grâce en solo dans une vinoteca, à manger des pinchos et à écouter du rock rétro Américain. Je tâche aussi de me reposer… De me guérir. Je dors encore avec les jambes soulevées. Je n’ai pas encore retrouvé ma cadence de marche habituelle… Mais ça s’améliore. Je n’ai aucune idée ce qui m’attends lors de mon retour à la vraie vie… Je ne suis pas encore prêt à y penser.

Curieusement, bien que je suis profondément soulagé d’être arrivé à Santiago, je ne sens pas que mon camino est terminé. Je ne me sens pas, non plus, en mesure de tracer le bilan de ce voyage, ou encore à en parler avec mes bien aimés qui n’ont pas eux-mêmes vécu le trajet. Je sens qu’il faudra une période de transition. Je poursuivrai d’abord vers Finistère… Par autobus 😉

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Après la Cruz de ferro, la montée se poursuit jusqu’à Alto de Cerezales, le plus haut point du Camino Frances, à plus de 1500 mètres. J’y arrive vers 10h30. L’avant-midi figure parmi mes étapes préférées du Camino. La levée du jour sur la montagne… C’est exquis. Puis, comme c’est toujours le cas dans la vie et sur le Camino, après la montée, il faut descendre… Sauf que cette fois, c’est tout de même une descente exceptionnelle. L’on passe de 1500 mètres à 500 mètres… Ça dure 20 km. Tout ça se fait sur une série de surfaces que je refuse de nommer « sentier » ou « piste » ou « chemin ». Éboulement serait plus juste. Il y a que de la pierre, soit le roc de la montagne, soit des cailloux brisés de cette surface. Il n’y a pas de terre et rien n’est stable. À chaque fois que je pose un pied, il glisse puis il tourne. Mes genous me maudissent et je sens l’enflure qui monte dans mes pieds.

À mon arrivée, j’écrirai une note au Ministre des Affaires Étrangères, pour lui conseiller d’inclure un râteau et un niveau pour l’Espagne dans la nouvelle entente de libre échange entre le Canada et l’Union Européenne… Je serais ravis de passer moi-même les acheter chez Canuck Tire, et les déposer à son bureau de circonscription, à quelques coins de rue de ma maisonnette à Ottawa.

galicia_02Je m’arrête à El Acebo, à mi-chemin sur cette pente interminable. Je trouve un hostel, au-dessus du bar du village avec une chambre magnifique. Depuis la blessure, je ne m’intéresse plus aux albergués. Il me faut de la place, un peu d’espace, surtout le matin, car je mes préparatifs pour la journée sont douloureux, et j’avance au ralentit.

Le lendemain, c’est le retour à la pente. J’ai terriblement mal aux pieds. Le paysage est extraordinaire, mais le terrain est débile. Après 4 heures de marche, sans pour autant être rendu au bas de la montagne, alors que les toits de Molinaseca sont encore loin, je m’assoie par terre, entre le sentier de pierre et le précipice de l’autre bord pour changer mes bas et me masser les pieds.

J’entre et je sors de Molinaseca. Mon objectif, Ponferrada, se trouve 8 km plus loin. Je suivrai, sans faire exprès je vous le jure, des Américains à la sortie de Molinaseca. Ils m’induisent en erreur et me font faire un détour de 2,5 km vers Campo. Détour inutile et inéteressant par une banlieue où on ne démontre aucun intérêt pour les pèlerins. J’entre de peine et de misère à Ponferrada, et m’écrase sur mon lit. Il m’aura fallu plus de 8 heures de marche pour parcourir 18 km. Mes pieds sont tellement enflés que je peine à retirer mes souliers.

Mais j’aime, beaucoup, Ponferrada. Je décide d’y rester une journée supplémentaire, en touriste. Je passe la majeure partie de la journée à visiter un château Templier, bâtit entre le 10e et le 16e siècle. La ville moderne entoure ce château. C’est fascinant. Je suis heureux.

Au cours de la journée, j’apprends que mes amis Brian et Elliane Ont mis fin à leur Camino. Brian souffre de nombreuses blessures, et n’en peut plus. Il est à bout de souffle et renoncé à la marche. C’est aussi le cas pour mon ami Susan. Son genou ne vas pas mieux. Elle décide donc de quitter le Camino pour se donner une semaine de repos. Elle suivra aussi une formation intensive de formation en Espagnol, afin de revenir mieux outillé. Naît l’idée, lors d’une série de courriels, de se donner rendez-vous à Santiago pour se revoir une dernière fois avant de repartir vers nos pays respectifs. Je fais le calcul. À la vitesse que j’avance actuellement, je ne me rendrai pas à temps pour revoir les autres.

Je repasse mes cartes du Camino au peigne fin. Qu’est-ce qui m’attend d’ici quelques jours? Je compte encore deux montées importantes d’ici quelques jours. La pire sera O’Cebreiro qui nous fera monter de 600 à 1400 mètres, en l’espace de 6 km. C’est de la pente en maudit. Puis, le Camino se complique davantage… Les sentiers se multiplie en entrant en Galicie. Je fais le bilan du chemin parcouru, du chemin qu’il reste, de mon état physique, émotif, etc. Je n’ai pas peur. Je serais capable. Mais lentement. Je raterai mes amis et ça me désole. Puis, dans mon fond intérieur, après quelques 600 km de marche, je ne sens plus le besoin, par principe, de prouver quoi que ce soit à qui que ce soit.

Je décide de passer de Ponferrada à Sarria en train. C’est une distance d’environ 90 km. Ça m’épargnera environ 4 jours de marche. Il me restera un peu plus de 100 km à parcourir à pied en Galicie. Je suis en paix avec ma décision. J’en informe mes amis, qui se réjouissent de l’opportunité de me revoir. Le train part dès 6h30.

Ma récompense pour cette décision? Le seul moment de peur profonde et viscérale du voyage. La gare de train est à quelques km de mon hostel. À 5h30, les rues de la ville sont presqu’en désertes…. Mais je sais que les quelques individus que je croise ne sont pas du genre à aider ou à prendre pitié d’un pèlerin qui peine à porter son sac. Je marche très, très vite. J’estime que la marche jusqu’à la gare devrait me prendre environ 45-55 minutes… Vu mon état d’âme, j’arrive à la gare – épuisé et dégoulinant – en 27 minutes.

Le voyage en train est un plaisir pur. J’adore les trains. Je suis aux petits oiseaux en arrivant à Sarria. C’est le dernier point de départ véritable du Camino. Plusieurs pèlerins partent d’ici, car il faut marcher au minimum les 100 derniers km afin d’avoir droit à l’attestation officielle de pèlerin, la compostella.

Le train est plein à craquer de pèlerins… Surtout des élèves d’âge secondaire, qui doivent parcourir le Camino afin d’obtenir leur diplôme. Il y en a au moins une centaine. Je sens le début d’une nouvelle course aux lits.

Le paysage a drôlement changé. Au bout de quelques instants, je comprends pourquoi. Il pleut beaucoup et perpétuellement en Galicie. Sobre la marcha! Let’s go tabarnouche, c’est le home stretch! J’entreprends cette dernière série d’étape avec un nouveau feu intérieur qui brûle à pleine force. J’ai hâte d’en avoir le cœur net, et la seule façon d’y arriver, c’est de compléter cette marche.

Autre changements importants: de nouvelles odeurs m’entourent. Il y a de l’eucalyptus en Galicie. J’adore. Il y a aussi des vaches… Et des résidus de repas de vache… Partout… Notamment, une couche de quelques centimètres qui recouvre le sentier au complet. Je comprends pourquoi à ma sortie de Sarria. Tout d’un coup, en tournant un coin sur le sentier, je me trouve entouré par troupeau d’une cinquantaine de vaches. De toute évidence, les fermiers se servent du Camino pour faire passer leur bétail d’un pâturage à l’autre. C’est mon deuxième stampede du voyage… D’abord des brebis, asteur des vaches!!

Moi qui croyais avoir dépassé les montagnes… Je me détrompe rapidement. Désormais, elle sont moins hautes, mais plus nombreuses. Ça monte, puis ça descend. Pète, répète. Tout ça sous une pluie qui varie entre « Ah, que c’est rafraichissant! » et « Au secours, je ne sais pas nager!! » Sans farce, par bout ça ressemble davantage à de la natation verticale qu’à de la marche. Mais les forêts d’eucalyptus sont magnifiques, et les petits villages qui surgissent de nullepart sur les côtes vertes le sont aussi. Puis, les Gallegos sont d’une générosité extrême. Après 23 km sous la pluie, je m’arrête à Mercadoiro, dans le plus beau hostel de l’Espagne. On se croirait dans un hôtel boutique. Je suis gâté. Puis, la soupe aux lentilles et chorizo, une nouveauté au menu accompagné de pain frais, fait à la maison, est merveilleuse! Le bonheur dépend de peu de choses. Mercadoiro, population officielle: 1… Notre hospitalero, et le propriétaire de l’hostel, qu’il a lui-même bâtit à partir des ruines d’une terre…

Le lendemain, je passe par Portomarin. Pour entrer dans la ville, le camino passe par un des trois ponts. Il mène au bas d’un escalier d’une centaine de marches. Je regarde le ciel et demande « Vraiment? Tu veux que j’grimpe c’t’affaire là asteur? Pour trouver un guichet puis une bouteille d’eau? Vraiment? Ok… C’est vrai que j’ai pris le train… Désolé. » Pour sortir de la ville, le Camino nous invite à passer par les deux autres ponts. Pas un ou l’autre… Les deux. De toute évidence, il y a quelqu’un qui s’est amusé avec un pot de peinture jaune par un soir d’enterrement de vie de garçon. Ah Portomarin, que de doux souvenirs!

Je me rends jusqu’à Eirexe. Me semble que le nom de la place ressemble à mon prénom. J’suis plutôt crevé en y arrivant. La pluie sape ce qu’il me reste d’énergie. La pluie, puis la boue. Je pose les pieds au resto, à la recherche de mon cola quotidien (petit rituel d’après la marche, avant la douche) et j’entends un cœur de voix qui exclament « ÉRIC! » Je retrouve Hannah, sa mère Èva, les suédoises que je connais depuis Orisson, et Katrin, de l’Allemagne, qui a elle-aussi, beaucoup marché avec Jane. Il y a toute une série de hugs, puis j’aurais presque envie de brailler, tellement je suis heureux de les revoir. Je jase avec mes amis Suédoises tout au long du repas. Elles sont formidables. Hannah est une superwoman! Véritable athlète, pour elle le Camino est un plaisir pur. C’est aussi le cas pour sa mère, qui souffre de quelques ampoules, mais qui a l’eau aux yeux en me parlant des personnes extraordinaires qu’elles ont croisées sur le chemin. La soirée rehausse mon morale comme par magie. Et justement, à ma sortie, je Remarque une vieille affiche sur le mur qui fait la promotion d’un grand magicien: le Dr Saa, Conde de Waldemar. Il semble qu’un des aïeux du proprio du bar était un illusionniste de renommée mondiale au début du 20ème siècle. Ah, la magie du Camino!

De Eirexe, je passe par Palas de Rei, où j’obtiens mon premier cello du jour en entrant à l’église du village. Le curé prends le temps d’étudier et de réparer mon crédencial, abimé par la pluie, à l’aide d’un rouleau de Scotch tape. Il a vu pire et me souhaite buen Camino! Ma journée se termine à Melide, une ville étonnante du fait qu’elle n’a absolument rien d’attrayant ou d’intéressant… Jusqu’à l’heure du souper. Alors, à la pulperia Ezekyel, le party pogne et le vin verse à flots pour bien arroser la chaire de pieuvre, délicieuse.

galicia_04De Melide, je marche jusqu’à Arzua, où j’ai – tout comme plusieurs autres pèlerins – beaucoup de difficulté à trouver un lit. Il faut comprendre que Melide marquait aussi un point de convergence pour trois Caminos, qui cheminent tous vers Santiago. Désormais, les sentiers et les albergués débordent. Je prends un repas simple, copieux, bien arrosé, et m’écrase sur mon lit. Deux jours de marche. Il me reste deux jours de marche.

Entre Arzua et O’Pedrouzo, la pluie n’arrête jamais. Le sentier ressemble plus souvent que non à une rivière. On marche dans la boue, et autres substances organiques (vous vous souvenez des vaches?) jusqu’au chevilles. Je chérie l’idée de devenir le porte parole de tourisme Galicia! J’imagine l’annonce publicitaire tout en écoutant mes bas qui font plrrrp plrrrp dans mes botes. Je trouve une merveilleuse pension: Pension Maribel, et on me conseille un resto ou je dévore le meilleur poisson goûté depuis mon arrivée en Espagne.

galicia_03Il me reste 18 km à parcourir. Je suis ému. Qu’est-ce qui me passe par la tête? Le goût de marcher. De bien marcher. Le goût de profiter pleinement de ma journée demain et de tout ce qu’il me reste du Camino. Si Dieu le veut, j’arriverai demain à Santiago.

 

 

 

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Au fil des kilomètres, les visages que l’on croise à plusieurs reprises sont nombreux. Les blessures viennent freiner les plus rapides. Certains gèrent mieux les côtes, d’autres les plaines. Chaque village, chaque albergué, marque une occasion surprenante de revoir quelqu’un que l’on croyait soit loin devant, ou loin derrière nous.

J’ai un semblant de famille sur le Camino. Jane, avec qui j’ai marché très tôt le matin pendant plus d’une semaine, Eliane et Brian et Susan.

Couple typique du Seattle,  Eliane travaillait pour la centrale administrative de Starbucks alors que Brian travaillait chez Microsoft. Pèlerins au sens pur, ils ont quittés leurs emplois respectifs et vendu leur maison pour mieux prendre la route. Ils m’expliquent que le Camino, que Eli a d’ailleurs déjà parcouru en solo, n’est pour eux qu’une étape d’un séjour d’environ 6 mois en Europe. Eli est l’une des deux personnes que je croise sur le Camino qui ne fait aucune ampoule, et qui semble cheminer aisément, sans douleur. Elle aime chanter. Quand nous marchons ensemble avant la levée du jour, nous chantons « Singing in the rain »… par une journée où il n’y aura pas un seul nuage dans le ciel et il finira par faire 38 dégrées en après-midi. L’ironie et le plaisir.

Brian à plus de difficulté. Comme moi, il trouve que le Camino est une rude épreuve. Il partage aussi mon dédain pour les albergués… Et pour John Brierley. On se dit qu’on pourrait rédiger « The Gentleman’s Guide to the Camino; Fine Hotels on the Way to Compostella ». L’idée me plait.

L’amour qu’ils ressentent l’un pour l’autre est palpable. C’est un couple qui communique bien, qui partage des ambitions semblables et une même vision du monde. Ils sont beaux à voir!

Susan est une de ces personnes qui sait lire les gens, qui les voit clairement. C’est une femme forte et brillante. Son corps la trahie sur ce voyage. D’abord, elle se blesse au genou. Elle est la première à m’apprendre le mot « hielo », Espagnol pour « glace ». Puis, ses pieds sont recouverts d’ampoules. Elle souffre beaucoup. Mais elle est experte des farmacias! C’est elle qui me parle du Compede pour la première fois… Cette substance magique dont les Européens se servent pour recouvrir leurs ampoules. Je lui offre du duct tape canadien en contrepartie.

C’est grâce à Jane Que j’apprends à connaître ces gens. Elle se dit la mère adoptive du groupe. Mère poule, certainement, mais aussi une véritable mère, pleine de tendresse et de bonne volonté pour ceux qu’elle rallie au groupe. Prof d’ergothérapie en Afrique du Sud, le bien-être de notre petit regroupement lui tient à cœur. 

Maria vient du Danemark. Je suis étonné par le nombre de femmes du Danemark, dans la soixantaine, que je croise sur le Camino. Elles sont fortes, souriantes, heureuses d’être sur la route, malgré les rigueurs et la douleurs. Elles prennent plaisir à la vie. Maria, par contre, marche seule et dans le silence. Nous soupons à la même table à Orisson, mais je l’entends à peine prononcer un seul mot au cours du repas, et rien du tout depuis. Elle a toujours un sourire aux lèvres, un air un peu rêveur. 

À Trinidad, assis dans la cour du monastère où nous passerons la nuit, je partage mon jus d’orange avec elle. Elle me parle du besoin de silence pour s’ouvrir à soi. Une travailleuse sociale jeune retraitée car son boulot était devenu trop bureaucratique. J’ai au moins un ami qui se reconnaîtrait dans cette histoire. Elle parle longtemps. D’un seul jet. Comme si elle gardait tout ça embouteillé depuis des semaines. Elle m’explique que c’est son troisième Camino. Plutôt, c’est sa troisième tentative de Camino. Elle a dû renoncer à son premier voyage pour entrer chez elle, soigner un fils qui a presque mon âge, gravement blessé dans un accident de voiture. À sa deuxième tentative, c’est elle-même qui subit la blessure. Elle se casse une jambe sur un des sentiers près de Logroño. Elle doit renoncer, à nouveau, à Santiago. Elle revient à la charge cette fois, et se dit plus à l’écoute du camino… Plus consciente de sa cadence, moins perturbé par des distractions mondaines. Son ouverture me touche beaucoup. Je lui souhaite, enfin, de pouvoir poser les pieds à Santiago.

Je croise Clare, pour la première fois, à la sortie de Leòn. J’ai pleinement profité du petit déjeuner à mon hôtel, et part donc après 8h. Je suis étonné de voir d’autres pèlerins qui partent aussi tard que moi. Je la remarque à sa sortie d’une boulangerie. Elle est difficile à ne pas remarquer… Elle est rayonnante, même dans la tenue habituelle de pèlerin. Je la regarde entrer dans un albergué et saluer ses copains de marche avec beaucoup d’enthousiasme, fière d’avoir trouvé du pain frais pour tous. Je la retrouve quelques heures plus tard, à l’entrée du camping à Castrojeriz. L’accueil n’est pas clairement indiqué et nous sommes trois à chercher la réception au bout d’une longue journée de marche. C’est alors que je rencontre Jesse, son copain de marche. Il n’a pas l’air heureux dans son cœur. Nous trouvons l’accueil et, heureuse surprise, on nous propose trois lits dans un petit chalet, plutôt que dans un grand dortoir. C’est le bonheur. Chacun s’empresse à s’installer, puis Clare s’affirme: « Ok guys, boots off and outside! It smells like man in here! » Jesse est blessé (shin splints) et démoralisé. Clare le soigne comme le ferait une infirmière de vocation. Elle est tendre et patiente au plus haut point. Une semaine plus tard, je la croise à ma sortie d’Astorga. Mon genou gauche supporte à peine mon poids et elle vient de passer une journée au lit à souffrir d’un empoisonnement alimentaire (la paella à Andrew? Peut-être bien!) Nous marchons ensemble pendant la matinée. Ce sont parmi mes plus belles heures du Camino. Elle m’explique qu’elle travaille dans une bibliothèque à Perth, en Australie. C’est son premier voyage solo et son premier séjour. Elle est joyeuse… Perpétuellement joyeuse. Clare is a tough cookie. C’est une femme forte, qui prend plaisir à vivre simplement. Je l’admire. Elle m’offre une épinglette en forme de kangourou au moment où on se quitte. Depuis, je porte ce petit emblème sur mon chapeau.

Je soupe avec John et Cathy au repas collectif de l’albergué à Bellorado. C’est un couple de jeunes retraités du Minnesota. Un enseignant et une infirmière. Ni un, ni l’autre n’est intéressé par une vie sédentaire, devant la télé. Nous parlons de Obama, du piètre état du système de santé publique Américain, de l’importance d’une éducation universelle de qualité. Puis, ils me confient que leur beau-fils est le cuisinier en chef de Minnesota Twins. » Isn’t Justin Morneau (ancien joueur de premier but des Twins) Canadian? Our son in law got to know him really well… Nice fella. We get free tickets all the time ». Ceux qui connaissent ma passion pour le baseball pourront deviner que la discussion m’allume drôlement!

Leanette and James sont un couple remarquable du Texas. Je les rencontre sur la terrasse à El Acebo. À leur entrée en ville tout le monde les salue et les félicite… Plusieurs vont jusqu’à les applaudir. El Acebo est à mi-chemin d’une descente effrayante de montagne, qui dure 15 km. Ils sourient… Soulagés d’arriver en ville. Assis à ma table pendant que James passe au bar s’acheter une bière, Leanette me raconte qu’ils chérissent l’idée de ce voyage depuis plusieurs années déjà. Ils viennent de finir de payer leur hypothèque et les enfants sont grands, alors le moment du périple est venu. Leanette chemine dans un fauteuil roulant, que James pousse avec courage, depuis bien avant mon début de Camino. Il m’explique qu’ils devront filer vers la prochaine ville pour acheter de nouveaux freins… Tellement la descente à été pénible. Il prend deux bières dans le temps de le dire. Leur complicité est évidente.

Je rencontre Chris à la sortie du train à Sarria. Elle sort du mauvais bord. Vue qu’elle est la première à débarquer, nous sommes une dizaine qui suivons derrière elle. Heureusement qu’un autre train ne passait pas… Sinon, fin de camino! Nous prenons un café ensemble et elle sert d’interprète entre moi et la proprio, qui raconte (à pleine vitesse et avec verve, dans un mélange d’Espagnol, de Gallego et de Portugais) qu’avant notre arrivée, un homme a tenté de voler le contenu de sa caisse. Elle est encore à fleur de peau. (Il semble qu’elle l’aurait taper dessus jusqu’à ce qu’il file, sans pour autant informer la police. Elle craint le retour du voleur inepte.) Chris arrive de Barcelone. Elle n’a qu’une semaine pour faire le Camino… Ce pourquoi elle part de Sarria. Elle est drôle, parle un Anglais passable avec un accent charmant, et a l’air d’avoir l’âme d’une véritable vagabonde. C’est une fille cool. Elle se tisse rapidement un réseau sur le chemin. Je la revoit partout en Galicie, tantôt avec un groupe de jeunes femmes, tantôt avec des gars du Sud de l’Espagne. Elle me remonte le morale, me conseille des restos (dont Ezekiel pour de l’excellente pulpo ala Gallego à Melide, et m’aide à repérer le Camino à la sortie de la ville. Elle travaille en génie mécanique, mais son boulot la passionne peu. Elle dévore la vie. L’avenir de l’Espagne me semble entre de bonnes mains.

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cruz_01Je pose trois pierres au pied de la Croix de fer…

Depuis plus d’un millénaire, des pèlerins posent une pierre, portée depuis leur départ de la maison ou cueillie en cours de Camino, au pied de cette croix.

La légende veut qu’un pèlerin qui pose une pierre à cet endroit se voit soulagé de tout fardeau (pêché, tristesse, deuil, peine, etc.) La croix, dit-on, assume ces fardeaux, et en libère les pèlerins.

Des millions de pèlerins sont passé par cet endroit. Imaginez la quantité de pierres! On en trouve de toutes les tailles, portées depuis partout sur terre au pied de la croix. Le monticule fait 10 mètres de haut à certains endroits, et plus de 20 mètres de circonférence. Au bas, on s’étonne de trouver non pas des cailloux, mais des rochers de taille considérable. Au fil des ans, certains ont inscrit des notes sur leur pierre. Leur nom, leur pays d’origine. D’autres ont rangé des notes, des lettres, des photos, des icônes sous certaines pierres. Certains fixent une note ou une image à même le bas de la croix elle-même. Ce sont des prières, des histoires, des hommages à un être cher perdu. Il y en a des milliers. Ce sont des semblants d’intentions, pour soi, pour autrui.

cruz_05À son arrivée, chacun grimpe le monticule, pose sa pierre, sa note, etc. On respecte ses moments solitaires. Tout se fait dans le silence. Il y en a qui jasent à proximité, mais pas un mot ne se dit sur le site.

Au début de mes lectures, et depuis, le rite de la Cruz de fer m’interpelle. Au fond, n’avons nous pas tous une peine, un souvenir, un regret, un fardeau quelconque que nous ne souhaiterions ne plus avoir à porter dans la vie, mais dont on n’arrive jamais tout à fait à se défaire? Depuis ma blessure, il y a quelques jours, ce moment me motive, m’incite à poursuivre.

 cruz_04Je pose trois pierres.

La première, rouge, cueillie au cimetière à Perkinsfield, où repose mon père depuis bientôt 20 ans.

La seconde, bleue, cueillie dans un des jardins de fleur de ma mère, il y a quelques années.

L’espoir du soulagement, c’est peu de chose à offrir, vue la vie qu’ils m’ont donné.

La troisième, blanche, je l’ai cueillie il y a plus de trente ans, dans la cour de l’école du village où j’ai grandi. Il me reste encore un bout de chemin et de vie à faire, mais cette école n’est plus qu’un souvenir, tout comme l’enfant que j’étais à l’époque.

Je pose ces pierres et souhaite que nous puissions tous trouver une façon de soulager le fardeau que nous portons sur notre chemin.

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