J’avais 16 ans. Je roulais, passager dans une Toyota Tercel rouge avec plus de 300 000 km à l’odomètre, vers ma première session d’enregistrement. Nous avancions vers Stoney Creek, Highland Studios, là où Lanoie enregistrait souvent, et où Sarah MacLaughlin venait de terminer une session. Mon chauffeur était mon réalisateur, et aussi mon prof de musique à l’école secondaire Le Caron, Neil Lefaive. Neil a accompagné et réalisé toute une trollé d’artistes franco-ontariens au fil des ans, et tout comme En bref, les Chaises Musicales, et Damien Robitaille, je lui dois mes débuts dans le milieu professionnel de la chanson. Nous roulions dans la nuit à toute vitesse (Neil avait le pied un peu pesant). Pour nous rendre à Stoney Creek, nous avons traversé Hamilton, et sommes passés par Hamilton Mountain. C’est là, en voyant les lumières de cette ville ouvrière qui s’étalaient devant moi, en roulant vers un avenir incertain, mais prometteur, que l’image au cœur de cette chanson m’est venue pour la première fois.

Cette chanson a été porteuse pour moi à plusieurs égards. Nous l’avons enregistrée – chez Brent Robitaille – alors que je débutais mes études universitaires. L’enregistrement figurait sur l’album compilation Pleine Lune, qui s’est largement vendue en Ontario, et qui a beaucoup été diffusé en milieu scolaire. L’APCM, distributeur de cette compilation, avait produit un cahier pédagogique en appui au disque, réalisé par l’artiste-éducateur talentueux François Viau. Des centaines d’enseignants ont intégré cet outil à leurs plans de cours et ainsi, des élèves partout en province ont entendu ma petite chanson et complété le mot croisé qui servait d’appui éducatif.

Ce dont je me souviens le plus de cette chanson, c’est d’avoir complété l’enregistrement d’une version à toute vitesse, afin de respecter la date butoir pour la soumission des pistes pour l’album compilation. Compte tenu des délais, nous n’avions pas le temps d’entrer dans un « vrai » studio pour enregistrer la pièce. Nous avons donc ajouté des pistes vocales et de violoncelle à une base instrumentale que nous avions déjà en main… Pour ce faire, vu le petit studio improvisé auquel nous avions alors accès, je devais me tenir à l’extérieur de la maison, tout prêt de la fenêtre du studio, pour chanter dehors en même temps que le guitariste enregistrait sa piste à l’intérieur. Je me souviens qu’il faisait froid à Penetang, ce soir-là.

Depuis plusieurs années, c’est la chanson qui termine mes spectacles. J’aime bien terminer la soirée en partageant avec le public ce rêve né dès mes touts débuts…

Le samedi matin, tout au long de mon adolescence, je jouais aux quilles. C’était ma sortie « sportive » et sociale hebdomadaire. Derrière la salle de quilles se trouvaient un centre d’employabilité, un Tim Horton’s, une boutique porno et les pistes de l’ancienne voie ferrée. Autrefois, celle-ci liait le port de Midland aux usines de Toronto. Un jour, ayant terminé ma sortie sociale habituelle, j’ai remarqué une pile de pierres tout près de la voie ferrée. Des entrepreneurs anonymes allaient bientôt initier un nouveau projet de construction quelconque. Avant de débuter, ils avaient empilé du gravier. La petite montagne faisait peut-être 40 ou 50 pieds de hauteur. C’est l’image à l’origine de cette chanson. Une montagne de pierres qu’on ne pourrait transporter, puisque le train qui servait de connexion entre ce village et le monde extérieur ne passe plus.

Dans ma tête, cette image témoignait de ce qui advient aux endroits et aux gens qui sont délaissés et dépassés par le temps. Ce que d’autres percevraient comme étant le « progrès ». Dans cette chanson, un vieillard qui – lorsqu’il était enfant – courrait le long des trains rêve de retrouver l’énergie et la liberté de sa jeunesse. Cette chanson me rappelle la Louisiane, curieusement. J’ai fait une petite tournée en Louisiane il y a quelques années. On jouait dans un bar cajun, le réputé Randol’s à Lafayette. Je venais de vivre ma première aventure avec des crawfish. On avait emprunté le kit de batterie du Jambalaya Cajun Band. Mon guitariste de l’époque aurait souhaité qu’on joue une balade écrite pour une fille de Barrie qui ne s’intéressait pas du tout à moi! Bien qu’il avait certainement raison qu’une chanson en français aurait bien passée auprès de nos cousins cajuns, je voulais une toune qui permettait de garder l’énergie qui remplissait la place. Je garde encore le souvenir de cette salle pleine à craquer, où tout le monde dansait sur une de mes chansons! Ce fut une excellente soirée de fête, et nul doute que jeunes et moins jeunes en sont sorties avec un renouveau d’énergie! Ce fut certainement le cas pour moi et les gars du band!